Il n’y a qu’Une Seule Sorte de Médecine

Louis-Rémi Babé
7 min readJan 13, 2021

Cet article est un traduction de There’s Only One Kind of Medicine [EN], avec l’aimable autorisation de Will Moyer.

J’ai passé les trois dernières années en Asie, principalement en Chine et en Thaïlande. Pendant cette période, j’ai rencontré des occidentaux, beaucoup travaillant dans des ONG et des associations caritatives, qui défendaient des pratiques médicinales culturelles.

Un de mes amis, qui travaillait avec les tribus des collines de Karen, soutenait que leur utilisation d’œuf cru pour soigner les brûlures était une pratique parfaitement acceptable et raisonnable. Pourquoi ? Parce que leurs hommes de médecine le faisait depuis des générations. C’était traditionnel. Traiter des brûlures avec des œufs semble être un remède populaire — même en occident — mais sa dangerosité devrait être apparente à toute personne ayant des connaissance à propos des bactéries et des blessures ouvertes.

J’ai rencontré des étudiants américains qui suivaient des cursus de cinq années en médecine traditionnelle chinoise à l’université de Pékin, apprenant tout de l’acupuncture et des méridiens, ces lignes d’énergie imaginaires qui parcourent le corps humain. En Thaïlande, il y a une économie florissante de stages et de cours à destination des étrangers pour étudier le Reiki (imposition des mains), l’astrology, l’Ayruveda, la lecture du “plan de l’esprit” et de l’aura, l’urinothérapie (boire sa propre urine), les lavages déviateurs (refroidir ses gonades pour éliminer les toxines).

Les publications en langue anglaise des principales villes d’Asie affichent de gentillets articles tels que “comment se rafraîchir durant l’été en utilisant la médecine traditionnel chinoise”. (Au cas où vous vous le demanderiez, la médecine traditionnelle chinoise suggère de boire du thé chaud pour se rafraîchir l’été).

Ce sont des anecdotes personnelles, mais elles reflètent la fascination grandissante du monde occidental pour les médecines traditionnelles et alternatives. Même sans aller jusqu’à soutenir activement les médecines alternatives, les occidentaux leurs accordent souvent respect et déférence.

Brendan Borell, dans un article récent pour Aeon Magazine, décrit les pratiques africaines traditionnelles tels que “l’ablation de fausses dents”, qui consiste à retirer sans ménagement des dents aux nourrissons grâce à des aiguilles ou des objets affûtés (notamment des rayons de vélos). L’article est plutôt bon, particulièrement quand il enjoint la science à “niveler par le haut” la médecine. Mais bien qu’il conclu que l’ablation de fausses dents “doivent être éradiqué”, il consacre une part significative de l’article à ce qui ressemble à une défense (ou une excuse) de la médecine traditionnelle :

Dans de nombreuses cultures, pensée magique et médecine ont été intimement liés, et il n’est pas surprenant que ce soit le cas dans l’Afrique contemporaine. Là bas, les causes de la mort d’un enfant sont souvent aussi obscures que les raisons de la survie d’un autre, alors l’esprit humain cherche à faire le lien. On sait en effet que la croyance peut être à elle seule aussi puissante que les médicaments les plus sophistiqués. Plusieurs essais cliniques ont montré que les patients qui prennent un placebo s’en sortent mieux que ceux qui ne prennent rien du tout. Peut être qu’un traitement contestable (voir dangereux) tel que l’ablation dentaire procure un certain soulagement — pour la mère, si ce n’est pour l’enfant. “L’ablation de fausses dents peut paraître brutale”, écrit l’anthropologue Mogensen, “mais c’est aussi un moyen pour la mère de garder un œil ouvert sur le développement de son enfant”. C’est une manière pour une mère d’avoir la conscience tranquille, si son enfant venait à mourir dans ses bras.

[…]

Pourquoi y’a-t-il une tendance à défendre et excuser (voir même à louer) les médecines traditionnelles et alternatives ? Un étrange relativisme culturel sous-tend la manière dont les occidentaux parlent fréquemment de ces formes de médecines. Qui sommes nous pour dire que les croyances d’une culture sont fausses ? Qui sommes nous pour dire que leur pratique de la médecine est inférieure ?

Je comprends le désire de respecter et d’être sensible aux cultures, mais les pratiques culturelles ne changent pas la réalité.

On pourrait espérer qu’il n’est pas nécessaire de le préciser, pourtant ça l’est probablement : le corps humain fait parti d’une réalité physique. La manière dont il réagit aux substances chimiques, la manière dont il est affecté par des agents pathogènes, la manière dont il est blessé par des traumatismes physiques n’est pas sujet aux croyances personnelles ou culturelles. Pas plus qu’aucune autre réaction chimique ou physique n’est sujet aux croyances ou aux opinions. Pas plus qu’un corps africain ou un corps européens ne sont différents en fonction des cultures dans lesquels ils existent. Ils sont peut-être différents pour de facteurs génétiques ou environnementaux, mais cela n’a rien à voir avec des croyances religieuses, culturelles ou traditionnelles.

“Médecine occidentale” contre “Médecine alternative”

Rien de tout cela ne vise à défendre ce que nous appelons à tort “médecine occidentale”. Les médecins occidentaux font des erreurs, ils peuvent être têtus ou ignorants, les études occidentales comportent des erreurs méthodologiques, et les sociétés pharmaceutiques peuvent promouvoir des médicaments nocifs pour des profits à court terme. Ce sont, en fait, ces défauts très apparents de la médecine dans le monde occidental qui poussent probablement les gens à adopter la médecine alternative.

Mais le débat ne se situe pas entre la “médecine occidentale” et la médecine traditionnelle, il se situe entre la médecine méthodologique, la médecine fondée sur des preuves, et tout le reste. Comme le dit le titre, il n’existe qu’un seul type de médecine.

Soit vous faites des tests pour savoir si votre traitement fonctionne, soit vous ne le faites pas. Soit vous essayez d’éliminer les préjugés des praticiens, ainsi que ceux des patients, soit vous ne le faites pas. Soit vous utilisez un échantillon suffisamment important pour éliminer les anecdotes et les faux positifs, soit vous ne le faites pas.

Il s’agit d’éliminer l’erreur humaine. Il s’agit d’exclure d’autres facteurs qui pourraient influencer le résultat, afin que nous puissions essayer de lier clairement les causes et les effets. La preuve n’est pas plus un travers occidental que l’arithmétique est un travers occidental.

Le problème avec les médecines traditionnelles et alternatives n’est pas qu’elles ne fonctionnent pas. Peut-être que certains de leurs remèdes sont efficaces. Le problème est que la majorité des praticiens de la médecine traditionnelle ne soumettent pas leurs techniques à une méthodologie fondée sur des preuves. En fait, beaucoup méprisent l’idée même d’études en double aveugle et d’échantillons de grande taille.

Borrell le décrit bien :

Maurice Iwu, ethnopharmacologue nigérian estimé et auteur du Handbook of African Medicinal Plants (1993), s’est insurgé contre les Européens qui tentent de moderniser la médecine africaine en préservant ses éléments rationnels et en se passant des éléments magiques. L’utilisation des plantes en combinaison avec le pouvoir de l’esprit humain, le secours des dieux et d’autres forces invisibles constitue un aspect fondamental de l’ethnomédecine africaine”, a-t-il écrit. Les Iwus et les autres partisans de la médecine traditionnelle et alternative la présentent souvent comme une question culturelle, suggérant que la science, qu’ils associent exclusivement à l’Occident, ne peut pas porter de jugement en dehors de ce domaine.

Ils insistent sur le fait que leur médecine fonctionne non pas grâce à la science, mais grâce à des principes tels que le vitalisme ou les cinq éléments.

Ces hypothèses sous-jacentes sont manifestement fausses. Il n’existe pas, par exemple, d’”étincelle vitale” du vitalisme. Peut-être qu’une idée comme le vitalisme peut être utilisée comme un modèle mental intéressant ou une analogie sur la façon dont le corps humain fonctionne, mais ce n’est pas une explication réelle de quoi que ce soit.

De même, les méridiens de la médecine traditionnelle chinoise ne peuvent pas être utilisés pour expliquer pourquoi l’acupuncture fonctionne, parce qu’un méridien n’est pas réel. Est-ce que cela signifie que l’acupuncture est une supercherie complète ? Probablement. Mais si l’acupuncture est efficace, nous ne le saurons qu’en utilisant une méthodologie basée sur des preuves. Et il faudra qu’il y ait une cause physique réelle et identifiable.

Prétendre que votre médecine fonctionne grâce à des niveaux d’énergie mystérieux, au qì, aux bons et mauvais esprits, aux cinq éléments, au yin et au yang, aux cristaux de puissance, ou parce que l’eau a une mémoire, équivaut à dire “un sorcier l’a fait”. Ce n’est pas une explication que les êtres humains intelligents et rationnels devraient accepter. En fait, c’est une explication qu’il est presque criminellement irresponsable d’accepter, surtout lorsque des vies humaines sont en jeu.

Défendre la vie, pas la culture

Je tiens à être clair : je ne plaide pas en faveur d’une sorte d’impérialisme occidental. Je ne pense pas que les pays occidentaux devraient imposer leurs idées à qui que ce soit. Ce que je veux, c’est que les gens rationnels et éduqués cessent de défendre des pratiques médicales folles par une sorte de respect culturel. Je veux que les anthropologues cessent d’être si déterminés à préserver les pratiques “fascinantes et pittoresques” des populations tribales pauvres. Ce n’est pas une question de culture. Il s’agit de la santé et du bien-être de l’homme. C’est une question de vie.

Imaginez une population d’Inuits en Alaska. Depuis des générations, ils construisent de pauvres abris sans isolation. Chaque hiver, près d’un tiers de leur nombre, des enfants pour la plupart, est anéanti par les températures glaciales et les maladies qui en découlent. Une personne raisonnable et éthique pourrait-elle, en regardant ces gens, se dire : “C’est leur logement traditionnel. Ils utilisent ces maisons depuis des générations. Ils croient que leurs maisons fonctionnent, qui suis-je pour dire le contraire ? Après tout, la construction de maisons est plus un art qu’une science.

Non. La réponse décente et humaniste ne peut qu’être : Je dois essayer d’aider ces gens à construire des maisons mieux isolées. Cela pourrait sauver des milliers de vies.

Pourquoi est-ce différent avec la médecine ? Oui, les corps humains sont plus complexes que les maisons, mais cela ne les rend pas sujets à des préjugés culturels. Il y a des moyens qui fonctionnent pour construire des maisons isolées et d’autres qui ne fonctionnent pas, et de la même manière, il y a des moyens qui fonctionnent pour guérir les corps et d’autres qui ne fonctionnent pas.

La vraie chirurgie dentiste sauve des vies. Les vraies vaccinations sauvent des vies. Les vrais antibiotiques sauvent des vies. La défense des médecines traditionnelles non testées met les gens en danger. En 2008, l’Organisation mondiale de la santé a estimé que dans certains pays d’Asie et d’Afrique, “80 % de la population dépend de la médecine traditionnelle pour les soins de santé primaires”.

D’innombrables enfants meurent dans le monde entier à cause de l’eau insalubre, de la fièvre, des infections et de l’absence de véritable médecine éprouvée.

Les êtres humains devraient s’entraider, prendre soin les uns des autres, ne pas se laisser mourir par une forme grotesque de déférence culturelle. Il ne s’agit pas de respecter la culture, mais de respecter la vie humaine.

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Louis-Rémi Babé

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